Toute la Culture – 16/07/21

SALUT AU FESTIVAL PHARENHEIT, AVEC SES MOTS, AVEC SES GESTES, par Gérard Mayen

Clap de fin pour le rendez-vous annuel programmé par le Centre chorégraphique national du Havre. On y a beaucoup remarqué les toutes nouvelles pièces parlées de Claire Laureau/Nicolas Chaigneau, ou de Thibaud Croisy, brouillant les limites entre paroles et gestes.

Le lieu où dénicher des perles

Tout débutait cette année par l’accueil, avec le Volcan scène nationale à grand plateau, de la pièce Les Vagues, de Noé Soulier, dorénavant directeur du CNDC d’Angers ; une pièce qui embrasse et transporte la prosodie de la langue même de Virginia Woolf. Le texte et la danse. Un certain ton était donné, alors qu’on découvrait le même soir le spectacle Les Galets au Tilleul sont plus petits qu’au Havre (ce qui rend la baignade bien plus agréable). Il s’agissait là de la seconde pièce de Claire Laureau et Nicolas Chaigneau.

La précédente, Les déclinaisons de la Navarre, avait fait un malheur dans tout l’Hexagone. Or cette paire est basée au Havre. Et le Tilleul dont ils nous parlent est une plage située à proximité de la sous-préfecture normande. Pourquoi comparer la taille de galets ? Parce que toute la pièce égrène des bribes de conversation, sur un peu tout et n’importe quoi, telles qu’on les imaginerait entre potes autour d’une table.
Pour le coup, les deux chorégraphes sur scène sont rejoints par deux autres partenaires, et on remarque tout de suite que les chaises où ils s’assoient forment des alignements discontinus, en quinconce, avec angles et brisures. C’est un peu à l’image du niveau des échanges, où vont se multiplier les embardées des discours, les associations d’idées incongrues, les prises de bec parfois, les atermoiements du sens, les ellipses hasardeuses, les digressions incontrôlées.

La frontière éculée entre théâtre et danse

Tout cela puise tellement au registre des usages communs de la langue, qu’on pourrait croire d’abord à un pur spectacle comique, où le spectateur rit de se reconnaître dans sa propre caricature. Au reste, on rit pas mal aux Galets du tilleul, riche en absurdité, en chamailleries et trucs loufoques. Mais il se passe tout autre chose en fait. Remarquons-le au passage : Claire Laureau et Nicolas Chaigneau, auteurs-performeurs d’une pièce toute portée par le discours, se sont intégralement formés et développés en artistes de la danse. Non du théâtre.

Depuis cette position, c’est le régime même du discours qu’ils dynamitent de l’intérieur. Quand ce registre du discours paraît tout accaparer du sens, tout se joue en fait en le traversant, le déplaçant, en se situant avec et à côté, mais jamais sous son régime. On est alors tenu en haleine par une musicalité des silences, des relances, des laps et relaps, des suspensions, d’un texte tenseur, dont le sens apparent (et souvent dérisoire) importe peu, bien moins en tout cas que ce qui se joue en gestes, en saisies et ressaisies, mimiques, relâchements, redressements, chorégraphie minutieuse des physionomies, rapprochements, prises de distance.

À ce jeu expert, étourdissant, très exact, c’est la frontière éculée entre théâtre et danse qui est dynamitée, et déchiré tout le tissu de lieux communs qui s’en tiennent, paresseusement, à séparer les ordres du discours parlé d’une part, et des gestes d’autre part, voire prétendent en hiérarchiser les niveaux d’impact. Formidablement conduite, voilà une entreprise très oxygénante.