Le Bruit du Off – 08/07/22

UN ETC. DONT ON NE LASSE PAS, par Célia Jaillet

« Et elles parlaient, parlaient toujours, répétant les mêmes choses, les retournant, puis les retournant, d’un côté puis de l’autre, les pétrissant, les pétrissant, etc. etc. » Dans les Tropismes de Nathalie Sarraute on se retrouve nez à nez avec un monde dans lequel on a le visage englué : le quotidien est une scène, mal éclairée, où les discours stéréotypés s’attachent à nous ennuyer avec une constance qui nous les rend habituels et plus du tout effroyables, drôles ou dramatiques. Sorties de leur contexte des paroles aussi absentes d’elles mêmes surprennent et cette mise à distance est proposée par le spectacle de Claire Laureau et Nicolas Chaigneau qui renouvelle les rabâchements de Sarraute hors du livre, sur une scène dépourvue de tous ses artifices sociaux. Les spectateur-ices n’auront que quelques chaises où accrocher leurs regards pendant que s’épuisent leurs oreilles contre différentes loghorées, concentrées à savoir si les galets sont comme le titre l’indique ou pas, si les piscines sans chlore existent, etc. etc.

L’un dépose des briques de silence entre chaque mot pour un suspens sans fondation, l’autre rit et commente chaque intervention de son mari et celui-là empêche ses amis de partir à force de « ah oui faut que je dorme moi aussi, parce que demain je me lève tôt, on va faire une rando, avec vous savez celui qui m’avait aidé pour le etc. etc. » Si les différentes situations de langage ont été figées avec précision, le texte n’a pas de guillemets, n’a pas été immobilisé, ce qui permet aux comédiens de circuler avec naturel à l’intérieur (en ont-ils besoin ? ils jouent vraiment très bien)

Donc : du déjà vu, déjà dit, déjà entendu, du trop, du pas assez, mais rien ne part pas à vau-l’eau, il y a ces sons de tambour par exemple qui dynamisent la structure et se répercutent dans les corps, efficaces quand il le faut, vrais, authentiques quand ils sont faux. Leurs chorégraphies implacables se ressemblent, renforcent l’uniformisation des êtres tout en restant dotées d’une grande force. Si la narration de certains week-ends se fait en dansant, si on a le droit (nous aussi) de passer du coq à l’âne sans prétendre subjuguer un auditoire, alors la futilité n’est plus si grave, le dérisoire est un poème qui rit et les galets finissent en ricochets.