Un Fauteuil Pour l’Orchestre – 28/06/22

ƒƒƒ Article de Nicolas Thevenot

Elle est cette jeune femme assise à l’avant-scène, cheveux attachés, inquiète, polo orange vintage, regard baissé, pantalon taupe, balançant d’une faible amplitude sa jambe croisée, se caressant, par intermittence, les bras, qu’elle a croisés. Ce que l’on appellerait langage corporel, mais qui est ici bien plus que cette chose miséreuse que la psychologie a complètement galvaudée pour n’en faire qu’une peau de chagrin. Ici, les corps ont une vie, ils ont leurs oublis, leurs envies, ils prennent leurs aises, ils rayonnent. Ils induisent un être animal quand la société s’en méfie. Les Galets au Tilleul sont plus petits qu’au Havre (nous ferons désormais simplement référence à Les Galets…) connait cette chose rare : respirer la vie.

Constitué de presque rien, Les Galets… embrasse le tout de la communauté humaine. Quelques chaises d’école et quatre interprètes (Julien Athonady, Nicolas Chaigneau, Claire Laureau, Marie Rual) suffisent à faire exister cette sorte de bréviaire, à la Bouvard et Pécuchet, de la comédie humaine. A quatre, il est possible de se partitionner, à deux contre deux, ou trois contre un, ou de se rassembler en un tout, toujours instable. Si Les Galets… développe sa matière textuelle, à la manière de banales conversations très réalistes, et fait ressortir ces travers qui nous font sourire, et souvent rire, à la manière des Caractères de La Bruyère, l’attention, ou mieux dit : l’intention, s’inscrit dans les corps en présence. La singulière petite musique de chambre orchestrée par ces interprètes virtuoses prend la physicalité d’un corps, étrange, se mouvant, entre pulsions, et répulsions, façonné par ce cortège d’êtres papotant. Et si l’on pense à Christoph Marthaler, ce n’est pas seulement pour ces chants en chœurs, pour Bach (Que ma joie demeure !), mais parce que fondamentalement il y a du corps dans la musique des voix, et de la musique dans la danse silencieuse des corps immobiles, ou si peu mobiles. Il y a enfin des présences magnifiques, d’une finesse troublante, quand pourtant tout est écrit au cordeau, au souffle près, et que pourtant tout palpite, et crépite du premier feu.

Ainsi programmée par Les Rencontres Chorégraphiques, certains pourraient s’étonner de ce qu’une telle proposition entre dans le champ de la danse quand elle a le paraître (le texte) du théâtre. Tout est affaire de point de vue et de perspective. Car, au-delà des mots, qui ne sont que l’écume des corps en mouvement, Les Galets… se regarde avant tout comme un jeu de quilles, comme une cinématique des affects humains quand nous faisons société, comme un champ de forces magnétiques et contradictoires quand ensemble nous tentons de faire corps. Il y a du moléculaire, de l’atomique dans ces attirances, ou ces écartements. Il y a des mouvements de planètes, il y a de la danse, telle celle de l’iceberg que certains jureraient immobile. Un au revoir qui n’en finit pas… un désaccord qui vire en dispute… la négation et l’oubli de l’autre… mille et une mesquineries… Dans cette tectonique des plaques de la morale, sur une marche nuptiale, la géographie humaine se dessine d’un geste burlesque et « d’un geste précis… tu lèches ? »